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      /  Chroniques du Temps   /  2 – Le Temps des Vacances

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    Illustration Prune Cirelli

    2 – Le Temps des Vacances

    Textes : Laurent Cirelli
    Illustrations : Prune Cirelli

    D’abord ôter sa montre, la garder à portée de main… ou pas, le poignet comme délivré; le reste suivra.

    Car il n’y a pas de repos sans un corps libéré, rendu à sa fonction originelle… tant il est vrai que nous avions les pieds nus dans la terre ou le sable bien avant de les enfermer dans du cuir, si précieux soit-il parfois.

    Vient alors parfois ce moment parfait que Louis Aragon a su dire comme personne: « Il m’arrive de perdre soudain tout le fil de ma vie: je me demande, assis dans quelque coin de l’univers, près d’un café fumant et noir, devant des morceaux polis de métal, au milieu des allées et venues de grandes femmes douces, par quel chemin de la folie j’échoue enfin sous cette arche, ce qu’est au vrai ce pont qu’ils ont nommé le ciel.

    Ce moment que tout m’échappe, que d’immenses lézardes se font jour dans le palais du monde, je lui sacrifierais toute ma vie, s’il voulait seulement durer à ce prix dérisoire. Alors l’esprit se déprend un peu de la mécanique humaine, alors je ne suis plus la bicyclette de mes sens, la meule à aiguiser les souvenirs et les rencontres. Alors je saisis en moi l’occasionnel, je saisis tout à coup comment je me dépasse: l’occasionnel c’est moi, et cette proposition formée je ris à la mémoire de toute l’activité humaine ».

    « Toute l’activité humaine »… Mais, même en ces heures suspendues, il y a toujours celui-là ou cet autre qui ne savent (peuvent ?) pas faire autrement qu’arborer coûte que coûte leur mécanique au poignet, boîtier or à telle terrasse, chronomètre sur telle plage… pour mesurer quoi ? N’est-ce pas plutôt à saisir la vanité de toute chose qu’il faudrait employer ce temps? Ne vaudrait-il mieux pas, à cet instant, (tenter de) se défaire de soi ?

    Et n’est-ce pas plutôt à regarder les heures filer – sans ressentir le moindre besoin de les retenir – qu’il faudrait perdre son temps ? Le cadran, si beau soit-il, n’est plus comptable de nos vies, les aiguilles n’en n’indiquent plus implacablement le sens: c’est le moment d’aller au bout de sa laisse…

    Car bientôt il faudra ranger, sans pouvoir l’enfouir, cette sensation fugace mais profonde que l’essentiel est ailleurs que dans la possession, il faudra bien finir par regarder l’objet pour ce qu’il est et pas pour ce qu’il représente: un accessoire. Si beau soit-il.

    Alors vient le moment de replacer la montre sur le poignet, de remettre la mécanique en route, alors on se prend à regarder l’heure avec cette impression, chaque rentrée plus vivace, que le temps est bien ce « joueur avide » dont parle Baudelaire et que chaque regard jeté sur le cadran est une petite défaite.

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